3. La prononciation et la transcription des voyelles

Publié le par Olivier de Vaux

Comme pour les consonnes, deux approches sont possibles. Ou bien l'on prend les voyelles du français et l'on se préoccupe de leur sort, ou bien l'on prend les voyelles des mots patois et l'on regarde d'où elles proviennent.

 

A. Les voyelles du français et leur évolution en patois

 

La famille des a

Le a est une voyelle courte, voire très courte : elle disparaît presque totalement dans certains mots comme dans malade qui se dit et que l'on écrit : mlède.

Le a se nasalise pour devenir un è chez ce même mlède, décidément bien atteint, ou dans tsè (char).

Le “â” est plus fréquent qu'en français ; c'est une voyelle longue, contrairement au “a”. Le (la faux) ne doit pas être confondu avec le dagt (le doigt). Cette accentuation est souvent corrélée à la disparition d'une consonne voisine (âbre).

 

Le “an” est souvent nasalisé et devient “in”: la branche se mue en brintse.

 

Le “ai” fait l'objet d'une prononciation identique à celle du “ée” français. J'ai évité de modifier l'orthographe des mots patois contenant la voyelle “ai” pour faciliter la compréhension des textes et j'écris : dz'ai aigûji mon cutiau et non dz'é égûji... en rappelant ici que seuls les èles ê et les aî ne se prononcent pas ée.

Le “ain” n'est pas remis en question au masculin mais le “aine” subit les assauts de la nasalisation médiévale et se décline en “ain*ne” la mitaine devenant mtain*ne.

 

 

La famille des e

Le “e” , dans le corps des mots est presque toujours élidé en patois ; j'ai choisi de le supprimer (dmain), sans le remplacer par une apostrophe (il y en aurait trop et cela gênerait la lecture sans beaucoup éclairer le mot).

Par contre le “e” muet final est conservé, condition nécessaire à la prononciation de la consonne qui le précède.

Il convient de noter ici que l'on orthographiera “eu” bon nombre de “e” pour garantir la bonne prononciation de quantité de mots. On écrira beurdin et non berdin susceptible de se prononcer bérdin.

Le “é” court français est interdit dans l'écriture du patois où l'on ne connait que le “é” long. On s'efforcera de le remplacer par un“è” (le vèlo) ; signalons ici quelques transformations du “é” en “a” (l'accardzi, acouter, agotter).

Le “è”, ainsi que le son “è” du “e” précédant une consonne double : benne, vesse, se mue parfois en “eu” : beunne, veusse.

Le “ei” se mue parfois en “eu” (peigne devient peugne) ou en “eui” (veille devient veuille) ; lorsqu'il est inséré dans une terminaison en “nne”, il se transforme en “ein” ou même parfois en ”ouein” : pyein*ne (pleine), pouein*ne (peine).

Le “ê” français est généralement transformé en “é” long, les bêtes devenant des bétes, les vêpres les vépres.

Dernier de la série, le “oeu” est parfois transformé en un “û” long : les bûs et les ûs (les boeufs et les oeufs) illustrent bien cet avatar.

La famille des i

 

Le “i” ne subit pas de mutations considérables, il s'élide parfois (pchi, pisser), il s'accentue lorsqu'il recouvre une consonne finale (l'fî , le fil), et de temps à autre il se transforme en “eu” (la veugne la vigne).

La seule mutation importante et fréquent concerne le “ien” qui a évolué vers le “in”, il vient se disant ô vint, il tient ô tint, notamment dans les conjugaisons où il mute à nouveau lorsque l'on dit qu'il vienne ou qu'il tienne : qu'ô veunne, qu'ô teunne. Voir ci-après le paragraphe consacré aux terminaisons.

 

La famille des o

 

Le “au” n'est quasiment jamais remis en question, et sa prononciation est très proche de celle du français encore qu'il soit un peu plus long et accentué (beurdalaud), comme toutes les voyelles.

 

Le “eau” est toujours prononcé et écrit “iau” à de rares exceptions près (les pôreaux, les poireaux).

 

Le “o” sans accent est parfois prononcé “eu”, ou "ou" on passe alors du froment au freument ou de notre à noute.

Le “ô” chapeauté conserve son chapeau, aussitôt devenant d'achtôt, le vôtre devenant l'vôte.

 

Les “oi” sont beaucoup plus instables, ils peuvent être élidés, accentués ou transformés.

L'élision du “oi” se remarque notamment lorsqu'il précède une consonne double : la moisson devient mchon, le poisson devient pchon, mais cela n'est pas systématique.

Le “oî” prend l'accent et s'allonge parfois notamment avant un r (le poîrî, le poirier), mais il vire quelques fois au “a” (le dagt, le doigt), au “è” (nère, noire) et peut, exceptionnellement dégénérer en “ouè” (la fouère, la foire).

Le "on" se change en "o" dans les adjectifs possessifs mon, ton, son précédant un mot commençant par une consonne : mo tsin, to père, so commis, mais il faut ajouter un n' de liaison lorsque le mot commence par une voyelle : mo*n' ujeau, to*n' attirail, so*n' yeu.

Ces modifications ne sont pas les seules concernant le “oi” qui peut facilement virer au “eu” avec ou sans accent ou au “u” : l'ûjeau na picore eun' eugnon meûji (l'oiseau noir picore un oignon moisi).

Le “ou” quant à lui, fait des incursions vers le “eû” et le “u”, mais assez rarement : I faut eûvri to cutiau, il faut ouvrir ton couteau.

Mais la grande mutation du son “ou” se fait au bénéfice du “o” : coper couper, boton bouton, moton mouton.

 

La famille des u

 

Le “u” s'élide parfois, allumer devient allmer, le fumier devient le fmî, l'oeuf punais devient l'û pné.

Mais sa transformation principale se fait en “eu” ou en “eû” ; elle est très fréquente et on la retrouve même dans la conjugaison des verbes où le “u” est élidé à l'infinitif.

Citons à titre d'exemple l'meur' le mur, les treuffes les pommes de terre (truffes), la mzeure la mesure, les meûrons les mûres ou dz'alleume j'allume.

Le “ui” suit le régime général du “u” et mue en “eu” ou en “eû” : l'beuchon le buisson, la keûche la cuisse, la sope est keute la soupe est cuite.

 

Le y

 

La seule particularité à noter est la présence d'un astérisque avant le “y” toutes les fois où il s'avère nécessaire de le désolidariser de la voyelle qui le précède, afin d'obtenir la prononciation désirée. Ainsi on écrira le bo*yau pour le boyau.

 

 

Tableau récapitulatif des voyelles

vues du côté du français

 

graphie française

se dit

s'écrit

fréquence

d'emploi

exemples d'emploi

a

è

parfois

tsè

a

'

parfois

mlède

a

â

parfois

âbre

an

in

parfois

brintse

ain

ain, ain*ne

souvent

mtain*ne

e

'

souvent

dans le corps des mots : dmain

ei

ein, ouein

parfois

pyein*ne, pouein*ne

ei

eu

parfois

peugne

oeu

û

parfois

e, eu

eu,eû

souvent

beunne, jeûnesse, beûrre,

é

a

parfois

acardzi, acouter, agotter

è

eu

parfois

leuve (conjug. il lève)

ê

é

souvent

béte, féte

i

'

parfois

pchi

i

î

parfois

quîlli

i

eu

parfois

veugne

ien

in

souvent

ô vint, ô tint

o

eu, ou

parfois

freument, noute

eau

iau

souvent

viau, siau

oi

'

parfois

mchon

oi

parfois

poîron

oi

o, ô

parfois

maladrot, pôreau

oi

a

parfois

dagt

oi

û, eu, eû

parfois

ûjeau, eugnon, meûji

oi

è, ouè

parfois

nère, fouère

on

o

parfois

mo, to, so

ou

parfois

eûvri

ou

o

souvent

rodze

ou

u

parfois

cutiau

u, û

eu, eû

souvent

meur', breûler

u

'

parfois

allmer

ui

eu, eû

souvent

treue, keûche

y

*y

parfois

bo*yau

 

 

 

 

B. Les voyelles vues en partant du patois

 

La caractéristique générale des voyelles du patois consiste dans la grande fréquence de leur accentuation.

 

L'accent aigu placé sur le e donne une voyelle “é” très longue et modulée, ainsi que l'on verra un peu plus loin.

L'accent circonflexe, qu'il soit placé sur le a, sur le ai sur le e, sur le eu, sur le i, sur le o, sur le oi ou sur le u signale l'accentuation de la voyelle chapeautée souvent au détriment d'une ou plusieurs consonnes consécutives qui ne sont pas prononcées quand elles ne sont pas purement et simplement supprimées.

 

Les familles de voyelles du patois

 

Dans ce paragraphe nous n'examinerons que les représentants les plus remarquables de ces “familles”, négligeant ceux qui n'appellent pas d'observations particulières.

 

La famille des a

 

Le “a” est une voyelle courte, voire très courte : elle disparaît presque totalement dans certains mots comme dans malade qui se dit et que l'on écrit : mlède.

Le “a” peut cacher un “é” ou le son “é” en général, notamment lorsqu'il est placé en première lettre d'un mot ; je citerai acardzi (écart), adzuer (aider), agotter (égoutter), agûji (aiguiser)...

 

Le “a” peut aussi cacher un “oi” comme dans le dagt (doigt).

 

Lorsqu'un accent circonflexe est posé sur le “â” , il devient une voyelle longue et c'est presque toujours pour signaler qu'il a dévoré une ou deux consonnes adjacentes comme dans âbre (arbre) ou dans ptâ (pétard).

 

La famille des e

 

Le “e” est une voyelle presque toujours muette, on l'écrit parfois dans le corps des mots mais toutes les fois qu'il est vraiment élidé j'ai choisi de le supprimer (dmain), sans le remplacer par une apostrophe (il y en aurait trop et cela gênerait la lecture sans beaucoup éclairer le mot).

Par contre le “e”final est conservé, condition nécessaire à la prononciation de la consonne qui le précède.

Il convient de noter ici que l'on orthographiera “eu” bon nombre de “e” pour garantir la bonne prononciation de quantité de mots. On écrira beurdin et non berdin susceptible de se prononcer bérdin.

 

Le “é” : c'est une voyelle allongée, contrairement au “é” du français ; elle se termine souvent par un tout petit “i” que l'on n'écrit pas mais qui est bien là. Ainsi, quand on dit la féte (la fête) il convient de prononcer la fééite avec un “é” long et un “i” esquissé. Le “é” pourrait remplacer également quelques “ai” sur lesquels la voix monte vraiment beaucoup comme dans la “méjon” (la maison) mais on peut s'en tenir à l'orthographe plus conventionnelle maijon en ne perdant pas de vue la règle qui consiste à prononcer "ée" tous les ai, et, er ou ei rencontrés. (Nous sommes au pays des haies).

C'est ce même son “é”, en plus court, que l'on retrouve dans les articles les ou des et dans les possessifs mes, tes, ses, ainsi que dans les infinitifs en “er”.

 

Le “eû” : cette voyelle, longue, est dite diphtonguée (on pourrait l'écrire “euu) ; elle est beaucoup plus fréquente qu'en français et il faut se garder de confondre la feuille (fille) et la feûille (feuille).

 

Derrière ces “eu” ou ces “eû” se dissimulent des “é”, des “i”, des “o”, des “oi”, des “ou” des “u” ou des “ui”.

 

La famille des i

 

Le “î” : voyelle longue que l'on trouve parfois en fin de mot, indiquant souvent l'élision d'une consonne finale (du fî, du fil). Ce “î “ est non seulement long mais il se termine par un petit “e” qui vient mourir à la fin du mot ; on pourrait l'écrire “iie”. Le “î” n'est pas rare dans les mots venant de mots français se terminant en -ier ou en -gner (panî panier, gâgnî gagner).

 

 

Le “in” provient parfois d'un “an”comme dans brintse (branche) ou pyintse (planche).

 

La famille des o

 

Le “o” provient souvent d'un “ou” comme dans coper ou fortse (couper, fourche).

 

Le “ô” : c'est une voyelle longue et diphtonguée (on devine un petit “ou” après le “o” : oou). C'est tout à fait flagrant dans des mots tels que bôs ou (bois ou four) qui doivent se prononcer boou et foou. D'ailleurs plus d'un mot est passé de ce “ô” à un “oû” franc, par exemple la rôtie est devenue eune roûtie.

 

La famille des u

 

Le “û” cette voyelle longue se substitue à certains “oeu”, les bûs, les ûs, ainsi qu' au “oi” dans ûjeau (oiseau).

 

Le y

 

Assez fréquent, il pose bon nombre de problèmes de transcription. On a vu plus haut son emploi en tant que “consonne” lorsqu'il remplace des “gl” ou des “l” ou même des “v”. Dans l'emploi du “y” en tant que voyelle j'ai eu recours à l'astérisque comme dans la nasalisation médiévale de mots tels que année (an*née) ou mitaines (mtain*nes) le noyau s'écrira no*yau pour forcer la bonne prononciation.

 

Tableau récapitulatif des voyelles

vues du côté patois

 

 

voy.

rempl.

fréq. d'emploi

exemples et conditions d'emploi

a

é, ai

oi

parfois

 

acardzi, adzuer

dagt

â

a+cons

parfois

âbre, ptâ

eu

e

souvent

beurdin

eu, eû

é, i, o, ou, u, ui

parfois

heurchon, veugne, freument euvri, meur'

keure

é

ê

souvent

féte

î

i+cons

parfois

î

ier, gner

parfois

panî

gâgnî

in

an

parfois

brintse

o

ou

souvent

coper, fortse

ô

ou, oi

parfois

fô, bôs

û

oeu

parfois

û, bû

*y

y

parfois

no*yau

 

 

 

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Commenter cet article
J
Je ne vais pas me coucher ignare ce soir... Je n'ai jamais décortiqué même mon propre patois, merci !
Répondre
O
<br /> <br /> C'est moins facile que les arachides et on n'a pas le même plaisir olfactif en plaçant des mots sûrs à nez !<br /> <br /> <br /> <br />